Floraison moutarde

Doit-on craindre la floraison des moutardes ?

1. Introduction

Beaucoup d’entre vous ont pu (tout comme nous) constater en 2008  un nombre important de parcelles de moutardes d’interculture fleurir au cours de l’automne (photo de droite : moutardes en fleurs à Celles le 28/10/2008 ). Davantage que les années précédentes ? Difficile à dire !

Outre des questions sur les causes inhérentes à cette floraison, on peut également s’interroger sur les risques potentiels que pourrait représenter une production de semences matures en matière de salissement des cultures suivantes.

Moutarde en fleurs


Plusieurs questions nous ayant été retournées à ce propos au cours des semaines précédentes, nous nous sommes attelés à tenter de circonscrire les situations où de tels problèmes pourraient ou se seraient rencontrés dans nos conditions pédoclimatiques en nous plongeant dans un mémoire de fin d’études défendu par une étudiante de Louvain-la-Neuve en 2003 (Caroline Devillers) et en consultant le réseau des personnes ressources de l’ASBL Greenotec.

2. Les facteurs induisant la floraisons des moutardes

En production de graines, le Larousse Agricole (2002) nous apprend que la moutarde blanche (Sinapis alba L.) fleurit de 40 à 60 jours après le semis et mûrît en 90 à 120 jours.
En conditions de stress, selon Luc Couvreur du CRA-W DPV (communication personnelle), le cycle aboutissant à la floraison peut être beaucoup plus rapide, parfois en quelques semaines, et donner ainsi des plantes fleuries dont la biomasse reste très faible.

Cr decompactage fourriere

Parmi les facteurs de stress identifiés, il en est un particulièrement aisé à constater : les défauts de structure du sol se marquant dans les fourrières, au niveau des passages des pulvérisateurs ou encore dans des zones non restructurées entre des opérations de (post-) moisson compactantes et le semis du couvert (photo ci-contre : moutardes en fleurs de part et d'autre d'une bande décompactée dans une fourrière à Vieusart le 08/11/2008 - photo : Vanderchuere N.).

Une carence en éléments nutritifs constitue une autre source de stress qui peut facilement s’observer aux endroits où une surdensité de semis réduit localement la quantité d’azote disponible pour chaque individu.

Enfin, certains résidus de produits phytosanitaires peuvent également constituer une source de stress physiologique complémentaire.
La tardivité de floraison est également une caractéristique variétale, caractéristique qui est d’ailleurs prise en compte lors de l’inscription des variétés au catalogue belge.

3. Les risques induits par une montée en graines des moutardes

3.1. Le mémoire de Caroline Devillers
Dans un mémoire de fin d’études réalisé par Caroline Devillers en 2002-2003 à l’Université catholique de Louvain et consacré aux couvertures d’hiver en interculture en Brabant wallon, il a pu être mis en évidence (entre autres) grâce à une enquête dans 56 fermes que :     
• d’une part la moutarde blanche (Sinapis alba L.) constituait la culture intermédiaire la plus répandue dans cette province ;     
• d’autre part que les agriculteurs craignaient de la semer trop tôt pour éviter la montée en graines et le salissement des terres par cette dernière.
 
Des essais ont donc été menés en complément pour tenter d’apporter des éléments de réponse quant la pertinence de ce risque dans les conditions climatiques de 2002 et pour une parcelle située à Louvain-la-Neuve.
Huit parcelles de moutarde contiguës ont été implantées avec une même densité de semis (12 kg/ha) mais à des dates différentes s’étalant entre le 6 juin et le 12 septembre 2002. Le 25 novembre 2002, seules les quatre premières dates de semis (6 et 18 juin, 8 et 19 juillet) ont donné des plantes dont les siliques contenaient des graines. Leur capacité de germination a été évaluée à cette date dans des conditions optimales de température et d’humidité en laboratoire et dans des conditions réelles en pleine terre.
En laboratoire, que les semences aient été placées à l’obscurité ou à la lumière du jour, les semis de juin et de juillet ont tous donné des semences aux taux de germination situés entre 80 % et 95 %.
En pleine terre à l’extérieur (mois de décembre), les pourcentages de germination étaient (logiquement) inférieurs à ceux obtenus en laboratoire mais dépassaient tout de même 25 %. Que les graines aient germé ou non, toutes ont fini par pourrir dans les jours suivants.
3.2. L'enquête téléphonique
Une cinquantaine de personnes identifiées en tant que personnes ressources de Greenotec (chercheurs, agriculteurs, conseillers agricoles) ont été interrogées par téléphone au cours du mois de novembre 2008, plus particulièrement sur leur connaissance de cas de salissement par des repousses de plants de moutarde consécutif à une production de semences matures par la culture intermédiaite implantée au cours de l’été.

Cr moutardes en semences 5

Sans prétention d’avoir recensé tous les cas problématiques, au vu des surfaces soit cultivées soit « encadrées » par les personnes consultées et du recul en matière d’utilisation de la moutarde comme culture intermédiaire, on peut raisonnablement penser que ce sont au moins quelques dizaines de milliers d’hectares qui ont été sondés de la sorte, dans diverses conditions pédologiques et dans diverses conditions climatiques vu qu’aucune année n’était visée en particulier.

L’enquête téléphonique a révélé que des cas de repousses ont été uniquement rencontrés à six reprises (toute confusion avec des senés ou des moutardes dont une partie des semences n’aurait pas germé en été a pu être écartée). Le phénomène serait donc très marginal.

Nous ne disposons pas d’indication sur les variétés qui ont posé problème (peu d’agriculteurs connaissent d’ailleurs les variétés utilisées). Cinq des six semis ont été réalisés durant la deuxième ou la troisième décade du mois de juillet, en d’autres termes des semis très précoces (la sixième parcelle a été semée au début du mois d’août 2006 mais les moutardes ont pu bénéficier d’une arrière-saison exceptionnellement clémente).
Dans tous les cas, les parcelles en question ont été emblavées l’année suivante avec des betteraves sucrières ou du maïs où les levées de moutarde, éventuellement échelonnées, ont été détruites par des programmes de désherbage tout à fait classiques n’engendrant aucun surcoût financier, de même que pour le froment d’hiver qui a succédé à ces cultures de printemps.
Par contre, il est à noter que des repousses parfois abondantes ont dans la moitié des cas été observées encore après la moisson de ce froment d’hiver, càd en septembre 2008 pour des moutardes initialement semées en août 2006 ! Les semences seraient donc assez persistantes dans le sol, et en la matière, c’est principalement les types de travaux de sol pratiqués (labour / non-labour, déchaumages plus ou moins profonds) qui vont conditionner le taux d’épuisement du stock semencier.
A noter également que plusieurs agriculteurs nous ont fait part du besoin de doses supérieures de glyphosate pour venir à bout des moutardes en fleurs et que dans un contexte global de réduction des produits phytosanitaires cette constatation mérite une attention particulière.

 

4. Comment limiter le risque d’une floraison précoce et d’une montée en graines ?

Le choix de la date de semis apparaît comme le levier le plus puissant mais également le plus simple pour éviter une floraison précoce et une montée en graines éventuelle des moutardes. En tout état de cause, les semis de juillet sont totalement à proscrire, ceux de la deuxième quinzaine du mois d’août sont à privilégier. Attention toutefois aux semis trop tardifs (mi-septembre) qui, s’ils évitent tout risque en matière de montée en graines et minimisent les risques de bourrages au semis de la culture de printemps en cas de non-labour, limitent également la quantité de nitrates qui pourra être piégée par la moutarde, ce qui peut s’avérer préjudiciable tant pour l’agriculteur que pour l’environnement surtout sur des précédents ayant laissé un haut niveau de reliquats azotés.
Le choix raisonné d’une variété pourrait également mériter une attention accrue. L’ITB (Institut Technique de la Betterave en France) teste chaque année une vingtaine de variétés de moutarde sous l’angle de la précocité de floraison mais également de la sensibilité au gel. En cliquant ici puis en cliquant successivement sur les onglets « Itinéraire technique » puis « La gestion de l’interculture avant betterave » et enfin sur « Couverts végétaux – évaluation variétale », vous pouvez télécharger un document synthétisant les résultats et qui a fait l’objet d’une parution dans le Betteravier Français de juillet 2008.
Enfin, même si un bon état structural du sol et un haut niveau de reliquats azotés au moment du semis de la culture intermédiaire permettent de minimiser le risque d’une floraison précoce, ils ne doivent (évidemment !) pas s’envisager comme un objectif en soi vis-à-vis de la moutarde surtout si elle est cultivée dans une optique de piège à nitrates…

5. Conclusion

Au vu des éléments en notre possession, il apparaît que la floraison des moutardes et leur montée éventuellement en graines doivent être considérées moins comme une source de problèmes en matière de salissement des terres (les cas avérés sont extrêmement rares) que comme un indicateur de bonnes (faible niveau de reliquats azotés) ou mauvaises (défauts de structure de sol entre autres) pratiques culturales.
Synthèse rédigée le 25/11/2008 par S. Weykmans (ASBL Greenotec) avec les précieux conseils de Luc Couvreur et avec l’aimable collaboration de Caroline Devillers de même que celle d’une multitude de partenaires et de membres de l’ASBL Greenotec qu’il serait impossible de nommer in extenso.
 
Sources bibliographiques : DEVILLERS C. (2003). Couvertures d’hiver en interculture en Brabant wallon : enquête sur les pratiques, essais de captage d’azote et essai de germination de Sinapis Alba. Mémoire présenté en vue de l’obtention du diplôme d’ingénieur agronome. Louvain-la-Neuve, B. : Université catholique de Louvain, Faculté d’Ingénierie biologique, agronomique et environnementale, Laboratoire d’Ecologie des Prairies, 141 p.
MAZOYER M., AUBINEAU M., BERMOND A., BOUGLER A. NEY B. et ROGER-ESTRADE J. (2002). Le Larousse Agricole. Editions Larousse, 767 p.

 

 

 

 

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Publié le: 2008-11-19