Impact des techniques culturales sur l’évolution de la teneur en carbone organique du sol en Hainaut

Introduction

Au cours de ces 20 dernières années, des techniques de travail du sol alternatives au labour se sont développées en Wallonie. Ces modifications de pratiques au niveau du travail du sol en affectent les propriétés, dont la teneur en matières organiques. Celles-ci contiennent 50 à 60 % de carbone qui constitue le paramètre étudié dans cette étude.

La majorité des terres de culture des régions limoneuses et sablo-limoneuses possèdent des taux faibles de carbone (< 2 %) avec des conséquences négatives sur la structure du sol, la battance et l'érosion. Qui de plus est, dans le contexte des gaz à effets de serre, et particulièrement de réduction des émissions de CO2, stocker du carbone dans le sol par des modifications de pratiques aratoires pourrait représenter une opportunité, tout du moins théoriquement.

L’objectif de mon travail de fin d’études en vue de l’obtention du diplôme de bio-ingénieur de l’Université catholique de Louvain était d’évaluer l’impact des techniques culturales sans labour (TCSL) sur le taux de carbone organique du sol en comparaison au labour. J’ai eu l’occasion de visiter 53 fermes, ces travaux ayant été réalisés dans le cadre du projet Prosensols 2008-2012 (projet Interreg pour la protection et la sensibilisation des sols en agriculture). Pour des raisons liées au projet, seul le Hainaut a été concerné par cette étude.

Méthodologie

Dans un premier temps, l’ASBL Greenotec a fourni les coordonnées d’une liste d’agriculteurs dans le Hainaut. Parmi eux figuraient un nombre important d’agriculteurs en non-labour. Ceux-ci ont d’abord été contactés par téléphone et nous nous sommes rendus au sein de leur exploitation. Un questionnaire leur a été soumis, comprenant les caractéristiques générales de l’exploitation, le type de travail du sol (outil, profondeur, culture) ainsi que la gestion des amendements organiques (fumier, lisier…). Dans chaque exploitation, deux ou trois parcelles ont ensuite été sélectionnées avec des données plus précises sur les rotations et le travail du sol.

A partir de la liste des agriculteurs en TCSL, nous avons enfin cherché des exploitations voisines afin de former des paires, géographiquement proches, "labour / non-labour". Au total, nos enquêtes ont couvert 53 exploitations réparties de manière relativement homogène sur la province du Hainaut (voir carte ci-contre ; cliquer dessus pour l’agrandir à l’instar des autres figures).
Dans un second temps, 36 parcelles ont été sélectionnées afin d’y prélever des échantillons de sol à la tarière graduée (entre 16 et 22 échantillons par parcelle, selon la taille), et ce, à trois profondeurs (0-5 cm, 0-23 cm et 23-50 cm) pour un total de 1728 échantillons (NB : la profondeur de 23 cm est la profondeur à laquelle les deux principaux laboratoires d’analyse de sol actifs dans la région réalisent leurs prélèvements, en l’occurrence le Service pédologique de Belgique et Requasud).
Une fois récoltés, les échantillons ont été séchés avant d’être analysé en laboratoire par combustion, à raison d’un échantillon composite (regroupant tous les échantillons) par couche de sol et par parcelle.
Pour les comparer, les techniques culturales ont été regroupées en quatre catégories, selon la classification proposée par Labreuche et al. (2007) : 

  • décompactage : pas de mélange des horizons ni retournement (poutre) ;
  • pseudo-labour : mélange des horizons sans retournement (cultivateur lourd, chisel…) à une profondeur plus importante que 15 cm ;
  • travail superficiel : mélange des horizons sans retournement (cultivateur lourd, chisel…) à une profondeur inférieure à 15 cm ;
  • semis direct : absence totale de travail du sol (marginal en Wallonie).

Résultats

Enquêtes sur le travail du sol

Les enquêtes au sein des fermes non-labour ont révélé une expérience moyenne de 13 ans pour ces techniques avec un temps jugé « d'adaptation » compris entre 3 à 6 ans. La figure ci-contre présente au sein de l’échantillon non-labour la répartition des différentes techniques alternatives à la charrue pour les principales cultures pratiquées dans les fermes étudiées. Globalement, le décompactage devance le pseudo-labour qui est lui même plus courant que le travail superficiel.

Analyse des échantillons

En ce qui concerne le taux de carbone organique, aucune différence significative n’a pu être observée du point de vue statistique pour la totalité de la couche arable (0-23 cm, cfr graphique ci-contre). Cependant, on remarque sur le graphique que les valeurs mesurées dans les trois techniques sans labour apparaissent plus élevées que celles pour le labour, tout particulièrement pour le travail superficiel.

Pour les 5 premiers centimètres de sol, les teneurs en carbone organique sont par contre statistiquement significativement supérieures en TCSL par rapport au labour, ce qui a une grande importance pour les aspects liés à la battance et l'érosion.

Ces résultats corroborent une étude approfondie réalisée par l’Université de Gand (D’Haene et al., 2009) qui s’est intéressée à la répartition du carbone sur 50 cm de profondeur dans un essai labour / TCSL (passage d’un cultivateur à une profondeur > 15 cm) à Maulde (commune de Tournai). Les résultats sont présentés dans la figure ci-contre.
On remarque une concentration du carbone dans les 10 premiers centimètres du sol en non-labour. En labour, la teneur en carbone organique reste semblable sur toute la couche arable (0-20 cm), ce qui s’explique par l’homogénéisation des horizons du sol. En outre, la teneur en carbone est supérieure en labour sur la couche 5-35 cm, ce qui semble « compenser » l’accumulation en surface en non-labour.

A partir des évaluations des teneurs en carbone organique en laboratoire, il est possible de calculer le stock de carbone en [tonnes de carbone/ha], ce qui est présenté dans la figure ci-contre. Les résultats sont présentés pour chacune des paires de parcelles étudiées. On ne remarque aucune différence significative entre labour (rouge) et non-labour (bleu). De plus, notre analyse a montré que le stock de carbone était supérieur en labour sur la couche 23-50 cm, soit en-dessous de la profondeur de travail.

Conclusions

L'analyse des teneurs en carbone a révélé une accumulation de matières organiques en surface pour les sols cultivés en non-labour. Cependant, cette augmentation semble être contrebalancée par une teneur en carbone supérieure en labour entre 23 et 50 cm de profondeur, qu'il est difficile d'expliquer. Ce travail n'a pas permis de mettre en lumière des différences au niveau des stocks de carbone sur la couche 0-50 cm. D'autres études ultérieures seraient nécessaires afin d'évaluer l’intérêt ou non de ces techniques récentes comme outil pour séquestrer du carbone.

Enfin, les rencontres avec les agriculteurs ont été pour moi une grande source d’échanges sur l’agriculture wallonne. En acceptant de me recevoir dans leurs exploitations, les agriculteurs ont fait de la dimension humaine de ce travail, une expérience unique au sein du monde agricole. Par la présente, je tiens particulièrement à les remercier pour le temps qu’ils ont accepté de me consacrer. Les agriculteurs participants recevront prochainement une copie des analyses de sol qui ont été réalisées sur leurs parcelles.
 

Synthèse rédigée le 28/10/2011 par Jean-François Cambier, bio-ingénieur en Sciences agronomiques diplômé de l’UCL (Promotion 2011), sur base de son mémoire de fin d’études sous la promotion des Pr. Ch. Bielders (UCL ELIE) et Pr. B. Van Wesemael (UCL ELIC) et en collaboration avec l’ASBL Greenotec.

Références bibliographiques

CAMBIER J.-F. (2011). Impact des techniques culturales sur l’évolution du taux de carbone organique du sol : approche pairée dans la province du Hainaut, Belgique. Mémoire de fin d’études (année académique 2010-2011) présenté en vue de l’obtention du diplôme de bio-ingénieur en sciences agronomiques à l’Université catholique de Louvain, Faculté d’Ingénierie biologique, agronomique et environnementale, Earth & Life Institute, Environmental Sciences. Louvain-la-Neuve, B. : UCL ELIE, 111 p. + annexes.

D'HAENE K., SLEUTEL S., DE NEVE S., GABRIËLS D. ET HOFMAN G. (2009). The effect of reduced tillage agriculture on carbon dynamics in silt loam soils. Nutrient Cycling in Agroecosystems, 84(3):249_265.

LABREUCHE J., LE SOUDER C., CASTILLON P., OUVRY J.-F., REAL B., GERMON J.-C. ET DE TOURDONNET, S. (2007). Evaluation des impacts environnementaux des techniques culturales sans labour (TCSL) en France. Parties I et II : La pratique des TCSL en France. ADEME.

 


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