Colza : Tersilochus, ces petites guêpes à préserver !

Charançons, méligèthes, altises… les insectes ravageurs du colza sont nombreux. Mais leurs ennemis naturels le sont tout autant, incluant notamment les représentants du genre Tersilochus (Tableau 1). Ces micro-guêpes parasitoïdes pondent à l’intérieur des larves de leur insecte-hôte. Au moment où celles-ci rejoindront le sol pour passer au stade adulte, elles seront mangées de l’intérieur par l’intrus. Une fois son hôte consommé, le parasitoïde créera un cocon et attendra, dans le sol, le printemps suivant pour émerger au stade adulte et s’envoler à la recherche d’un nouveau champ de colza hébergeant des proies potentielles !

Tableau 1 Principaux parasitoïdes de ravageurs du colza et leurs taux de parasitisme potentiels en Europe centrale (source : Ulber et al. 2010)

Ravageurs

Parasitoïdes

Taux de parasitisme potentiels

Charançon de la tige du colza

Tersilochus fulvipes

Jusqu’à 20%

Charançon de la tige du chou

T. obscurator

20% en moyenne, mais pouvant atteindre 50%

Méligèthe

T. heterocerus (Fig. 1)

Souvent plus de 50% et jusqu’à 97% !

Altise du colza

T. microgaster

Très variable, mais pouvant atteindre 50%

 

Tersilochus heterocerus

Figure 1. Tersilochus heterocerus, parasitoïde-clef des méligèthes du colza (photo : Rothamsted Research)

Cependant, c’est dans son cocon, pendant l’été, que Tersilochus est le plus sensible aux perturbations. Tout travail du sol réduit en effet drastiquement la survie de cet auxiliaire, et donc le nombre d’émergences au printemps. Un déchaumage ou tout autre travail superficiel du sol peut causer la mort d’un tiers, un labour de la moitié et une combinaison déchaumage-labour de deux tiers des parasitoïdes de la parcelle (Fig. 2) ! Au printemps suivant, cette diminution des émergences des ennemis naturels impactera donc négativement le taux de parasitisme potentiel des ravageurs…

Graph travail du sol

Figure 2 Emergence du parasitoïde selon différentes modalités de travail du sol (source : Nilsson 2010, synthétisant 5 études en Europe Centrale et du Nord entre 1985 et 1999)

Comment favoriser ces auxiliaires… dès aujourd’hui !

En préservant leur habitat

« Le semis direct post-récolte du colza dans un rayon de 1 500 m autour de la parcelle cible permet d’augmenter les années suivantes le taux de parasitisme des méligèthes par deux espèces de parasitoïdes majeurs » (Valentin-Morison 2012). Article complet : ici

Après la récolte du colza, évitez donc de déchaumer (un broyage des cannes en surface suffira) et privilégiez le semis direct de la culture suivante. Dès cet été, tâchez d’implanter du colza à proximité (moins de 1500 m) de cette parcelle non travaillée pour éviter la dispersion des parasitoïdes.

Plus d’infos sur le colza sans labour : ici

En fournissant des ressources nutritives

L’implantation de bandes fleuries et/ou de cultures associées permet de fournir du nectar et du pollen aux populations de parasitoïdes, hébergeant alors ces auxiliaires à proximité de la parcelle, même en cas de faible infestation d’insectes ravageurs hôtes (Rush 2010). Les plantes appartenant aux familles des Apiaciées (Ombellifères) et des Asteracées sont particulièrement attractives pour les insectes auxiliaires.

En améliorant le maillage écologique

C’est en coordonnant les pratiques mentionnées ci-dessus à l’échelle du paysage et sur plusieurs années qu’un pool d’auxiliaires pourra être conservé, voire favorisé, augmentant alors la régulation biologique des ravageurs du colza. En effet, plusieurs études ont montré que dans un paysage complexe, le taux de parasitisme des ravageurs du colza est plus élevé que dans un paysage simplifié (absence de bandes fleuries, de prairies, de parcelles non labourées etc.) (Rush 2010).

Mais attention !

  • Concevoir une lutte biologique basée uniquement sur la régulation naturelle des ravageurs par leurs ennemis naturels serait une erreur. C’est le principe-même de la lutte intégrée : cumuler tous les moyens de lutte à notre disposition et n’utiliser les insecticides qu’en dernier recours. C’est donc en cumulant les moyens cités précédemment avec des variétés résistantes, des décalages de date de semis, des associations culturales, etc., qu’une régulation des ravageurs sans pesticides devient possible. Infos techniques sur le colza associé : ici
  • Même si leur présence sera favorisée par les pratiques que nous avons décrites, les parasitoïdes n’attaqueront les ravageurs qu’après les dégâts occasionnés sur la culture. C’est donc au fur et à mesure des années, avec une cohérence à l’échelle paysagère, que la régulation naturelle par ces auxiliaires s’installera, puis s’amplifiera.

Le cas du méligèthe

Ce printemps 2021, les méligèthes (Meligethes aeneus) étaient particulièrement nombreux au stade sensible de la culture (bourgeons floraux). Les seuils de traitement étaient généralement atteints : les insecticides étant la solution d’urgence pour limiter l’avortement des bourgeons floraux attaqués par l’insecte. On en parlait : ici

En ce début d’été, les larves de ces nombreux méligèthes se trouvent dans le sol (Fig. 3). Dans quelques jours, avant la moisson, les adultes émergeront, partiront à la recherche de pollen, puis iront s’abriter dans la litière des zones boisées… et reviendront nombreux au printemps suivant sur les parcelle de colza, même à grande distance du site d’hivernage !

cycle meligèthe

Figure 3 Cycle de vie du méligèthe des crucifères (source : Rush 2010)

Dès maintenant, des mesures peuvent être prises pour enrailler les pullulations de méligèthes au printemps 2022 !

1) En réfléchissant aux variétés !

Le méligèthe du colza préfère les fleurs aux boutons. Lors du semis du colza, prévoyez un mélange de 5 à 10% d’une variété haute et à floraison très précoce (ex : ES Alicia) avec la variété d’intérêt (Fig. 4). Cela permettra de concentrer les insectes sur ces plants en fleur, tandis que la variété d’intérêt, encore en bouton, sera relativement épargnée jusqu’à sa floraison (Fig. 5). Plus d’infos : ici

De même, une bande de culture piège peut être implantée en bordure de parcelle ou dans toute autre zone peu productive de la parcelle, en pur ou en mélange fleuri : variété de colza précoce, navette d’hiver…

Alicia

Figure 4 Variété de colza précoce : ES Alicia (photo : Euralis Semences)

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Figure 5 Quand il a le choix, le méligèthe s'alimentera du pollen de fleurs ouvertes, plus facile que de percer les boutons ! (photo : Greenotec)

2) En préservant les auxiliaires !

Le cycle biologique du principal ennemi naturel des méligèthes est typique de la sous-famille des Tersilochinae (Fig. 6). C’est donc grâce au non-travail du sol, de la récolte du colza au semis de la culture suivante, que les populations de Tersilochus heterocerus seront efficacement préservées. Il est vrai que la complexification du paysage bénéficie à la fois aux parasitoïdes et aux méligèthes (Rush 2010)… mais ces derniers ont une capacité de dispersion plus grande : ils parviendront donc toujours à trouver une parcelle de colza, même lointaine de leur site d’hivernation, tandis que les auxiliaires ne seront actifs que dans un rayon de 2000m.

Les parasitoïdes sont particulièrement sensibles aux traitements insecticides. Il est donc primordial d’éviter les pulvérisations en période d’activité de ces auxiliaires : lorsque le colza est en fleurs (Ulber et al. 2010) ! De plus, les méligèthes ne sont alors plus problématiques pour la culture à ce stade.

cycle Tersilochus

Figure 6 Cycle de vie du parasitoïde du méligèthe (source : Rush 2010)

Sources :

Nilsson C. (2010) Impact of Soil Tillage on Parasitoids of Oilseed Rape Pests. In: Williams I. (eds) Biocontrol-Based Integrated Management of Oilseed Rape Pests. Springer, Dordrecht. doi : 10.1007/978-90-481-3983-5_11

Rusch A. (2010) Analyse des déterminants des attaques de Meligethes aeneus (Coleoptera, Nitidulidae) et de sa régulation biologique à l’échelle d’un paysage agricole: contribution à l’amélioration de la protection intégrée du colza.. Ecosystèmes. AgroParisTech. Français. NNT : 2010AGPT0094.pastel-00589802

Ulber B., Williams I.H., Klukowski Z., Luik A., Nilsson C. (2010) Parasitoids of Oilseed Rape Pests in Europe: Key Species for Conservation Biocontrol. In: Williams I. (eds) Biocontrol-Based Integrated Management of Oilseed Rape Pests. Springer, Dordrecht. doi : 10.1007/978-90-481-3983-5_2

Ulber B., Klukowski Z., Williams I.H. (2010) Impact of Insecticides on Parasitoids of Oilseed Rape Pests. In: Williams I. (eds) Biocontrol-Based Integrated Management of Oilseed Rape Pests. Springer, Dordrecht. doi : 10.1007/978-90-481-3983-5_13

Valantin-Morison M. (2012) Comment favoriser la régulation biologique des insectes de l’échelle de la parcelle à celle du paysage agricole, pour aboutir à des stratégies de protection intégrée sur le colza d’hiver ? OCL ; 19(3) : 169-183. doi : 10.1684/ocl.2012.0455