Enquête sur l’utilisation réelle des pesticides

Contexte et objectifs

Les pratiques de l’agriculture de conservation (AC) sont souvent citées comme favorables à l’environnement et les agriculteurs wallons sont de plus en plus nombreux à s’intéresser à ces techniques, que ce soit en agriculture conventionnelle ou biologique. L’AC, qui apporte de nombreuses solutions quant à la gestion des flux d’eau ou la qualité biologique des sols, comporte encore de nombreuses inconnues concernant l’utilisation des produits phytosanitaires (en particulier des herbicides) et la gestion de l’azote.

Pour répondre à ces questions, nous avons mené depuis 2 ans, une enquête en ferme visant à recueillir les données techniques et culturales d’exploitations afin d’évaluer l'utilisation réelle de produits phytosanitaires en fonction des pratiques agricoles misent en oeuvre sur la ferme.

L’objectif principal de l’enquête est donc de déterminer si les pratiques liées à l’agriculture de conservation sont favorables à l’environnement, au niveau de l’utilisation des produits phytos.

Les renseignements mentionnés dans le présent document sont donnés à titre purement informatif et provisoire et ne peuvent en aucun cas engager la responsabilité de l’ASBL Greenotec. Toute reproduction ou copie de ce document, même partielle et quel que soit le moyen utilisé, ne peut se faire sans l'accord écrit préalable de l'ASBL Greenotec.

Critères de classification

Pour pouvoir comparer les exploitations entres-elles, nous avons dû établir des critères stricts afin de déterminer quels agriculteurs étaient en AC ou non. Ces critères ont été définis comme suit :

Pour qu’une exploitation agricole soit caractérisée en AC, elle doit répondre à 3 critères :

  • Travail du sol : non-labour sur l’intégralité des cultures (avec un recul d’au moins 5 années sur la technique).
  • Couverture des sols : les sols doivent être couverts au maximum (intercultures longues et courtes) avec des mélanges (composés d’au minimum 3 espèces dont au moins 1 légumineuse). Les couverts végétaux doivent être implantés dans un objectif de recherche d’intérêts agronomiques (diversité des espèces et des systèmes racinaires, production d’azote par fixation symbiotique, coupure dans le cycle des maladies et ravageurs, réduction de l’érosion, etc.).
  • Rotation : au moins 5 ans avec alternance entre les cultures de printemps et d’automne, les graminées et les dicotylédones et un délai de retour suffisant entre 2 cultures « à risques » (ex : pommes de terre, betteraves, chicorées, pois de conserverie, légumes racines, etc. : maximum 2/rotation) dans le but de réduire la compaction et la charge phytosanitaire. A mettre en relation avec le contexte pédoclimatique de l’exploitation (e.g. Famenne, Ardennes, etc.)

Les exploitations mobilisant 2 des 3 piliers cités ci-dessus sont considérées comme en transition vers l’AC : elles seront classées dans la catégorie AC/CONV. Les exploitations n’utilisant qu’un ou zéro des trois piliers sont classées dans la catégorie conventionnel CONV

Les critères inscrits entre parenthèses sont non-obligatoires

Indicateur utilisé

L'IFT (Indice Fréquence de Traitement) est un indicateur qui traduit la fréquence et l’intensité d’utilisation des produits phytosanitaires sur une culture. L’avantage de cet indicateur est qu’il permet de comparer plusieurs produits entre eux, qu’importe la dose homologuée. Il se calcule ainsi :

 

Calcul ift

 

 

Localisations et catégories d’exploitations

Nombre d'agriculteurs enquêtés et d'itinéraires techniques receuillis

Résultats

Remarque : Dans l’ensemble des graphiques, un point correspond à une exploitation ou à une culture d’une exploitation

Relation entre la durée de la rotation et l’IFT

Il est généralement admis que l’augmentation de la durée de la rotation à des effets agronomiques bénéfiques sur l’IFT. En effet elle permet une rupture des cycles naturels des ravageurs ainsi qu’une meilleure gestion des adventices via l’augmentation des espèces cultivées.

Malheureusement, les résultats sont très hétérogènes et ne permettent pas de dégager une réelle conclusion. Une tendance semble toutefois apparaitre : l’IFT augmente avec la durée de la rotation, ce qui est contradictoire avec la littérature. En affinant les données, on peut mieux comprendre les résultats et observer d'autres relations intéressantes :

1. L’IFT Herbicide reste stable avec une légère tendance à la baisse avec l’augmentation de la durée de la rotation. Ceci s’explique par la forte présence de betteraves (et dans une moindre mesure de chicorées et de pommes de terre), culture grosse consommatrices d’herbicide, dans les rotations de durée moyenne à longue.

2. L’IFT Fongicide à tendance à augmenter avec l’allongement de la durée de la rotation : Relation entre la durée de la rotation et l'IFT moyen fongicide annuel. Cet augmentation est due à la présence e culture de pommes de terre dans les rotations longues, vu le temps de retour de minimum 4-5 ans.

Lorsqu’on retire les fongicides utilisés en pomme de terre, la tendance est clairement à la baisse, même si les résultats ne sont pas significatifs

Ift fongicide hors pdt

3. L’IFT insecticide est fortement influencé par l’allongement de la rotation (résultats hautement significatifs). L’allongement de la rotation pourrait ainsi être un levier important pour limiter les ravageurs et donc le recours aux insecticides.

 
 

Utilisation de pesticides en fonction du système de culture

Ift moyen annuel en fonction de la categorie d exploitation

Même si on observe une tendance à la baisse pour le système AC, par rapport aux autres systèmes, l’hétérogénéité de résultats intra-groupes est plus importante que l’hétérogénéité inter groupe. L’utilisation de produits phytosanitaires dépend donc surtout de l’agriculteur et non pas du système de cultures (AC, conventionnel) dans lequel il se trouve. Globalement, nous pensons que les agriculteurs en AC sont plus sensibles à cette volonté de réduire leur utilisation de phytos dans un objectif de réduire l’usage d’intrants pour gagner en autonomie sur leur exploitation et répondre aux demandes de la population en réduisant les phytos. Cependant, nous pouvons voir que certains agriculteurs en conventionnel sont aussi sensibles à cette cause et utilisent aussi peu de phytos que certains agriculteurs en AC. En revanche, nous pensons aussi que de nombreux agriculteurs en AC sont assez sensibles à la préservation de la biodiversité et évitent donc au maximum d’utiliser des insecticides ce qui est peut être moins le cas en conventionnel comme le montre les tableaux suivants.

Les traitements insecticides sont généralement réalisés à la suite d’une observation ou d’un conseil externe, généralement privé mais aussi public, via les avertissements officiels. Les agriculteurs conventionnels respectent plus souvent ces conseils alors que les AC font plus régulièrement l’impasse sur les traitements insecticides. Concernant les avertissements pour les maladies cryptogamiques et traitements fongicides, les agriculteurs respectent les conseils, qu’importe leur catégorie. Cependant, les ACistes utilisent des doses plus faible (couplé à d’autres leviers ?) ce qui amène à une plus faible utilisation de fongicides en AC qu’en Conventionnel.

La forte utilisation de fongicide en Pommes de terre augmente trop la taille de l’échelle et empêche la bonne analyse des autres valeurs.

Il y a en revanche très peu d’écart dans l’utilisation des herbicides entre les systèmes. Les IFT herbicides moyens varient de 2.28 (AC/Conv), 2.36 (AC) et 2.38 (Conv) . On aurait tendance à penser que l’arrêt du labour entrainerait une augmentation des traitements herbicides mais il semblerait que les agriculteurs en AC aient trouvé d’autres leviers agronomiques pour gérer les adventices. Une étude concernant ces leviers pourrait également être réalisée bien que de nombreux leviers soient déjà connus. (Date de semis, association de culture, couverture du sol, optimisation de la rotation, optimisation des traitements, etc.)

Focus sur l’utilisation de glyphosate

Dans notre étude, 63% des agriculteurs utilisent cette molécule. Cette proportion varie de 80% pour les AC, 75% pour les AC/Conv à 40% pour les CONV. Les chiffres montrent peu de variation annuelle. Cette différence d’utilisation montre clairement l’utilité de l’herbicide total pour éliminer les adventices sans avoir recours au travail du sol. La majorité des traitements sont effectués au printemps, avant les semis des cultures, la betterave essentiellement. L’utilisation de glyphosate permettant de gérer les repousses de céréales et autres adventices tout en maintenant un bon état structural du sol. Dans une moindre mesure, le glyphosate est utilisé en pré-semis ou pré-émergence des cultures d’automne semées en semis direct ou TCS.

Impact de la baisse d’IFT sur le rendement

Cette année, en plus des itinéraires techniques, nous avons recueilli le rendement agricole des cultures. Nous avons collecté assez de données pour 4 cultures : betteraves, froment, escourgeon et colza. Nous tenons à préciser que nous étudions uniquement l’impact de la valeur de l’IFT sur le rendement. Ce n’est bien entendu pas le seule élément qui influence le rendement. Les résultats décrits dans le Tableau 6, sont donc à prendre avec prudence.

Sur les quatre cultures étudiées, il n’y a qu’en betterave que l’IFT est plus élevé en AC par rapport au conventionnel. Nous avons une augmentation de l’IFT de 18% avec un rendement légèrement inférieur, le constat étant le même pour les agriculteurs en transition. Nous pensons que la cause de ce résultat est à chercher du côté du désherbage (IFT herbicide ~ 80% IFT total betterave). La betterave étant généralement implantée sur un labour en Conventionnel, une baisse d’environ 1 IFT est observée, par rapport aux autres systèmes ou les repousses sont plutôt gérées chimiquement.

Pour le froment, l’escourgeon et le colza, les résultats nous montrent que l’IFT est plus faible en AC par rapport au conventionnel. Nous avons une baisse de respectivement 44, 41 et 37% d’IFT par rapport au système conventionnel De plus, nous pouvons constater que cette réduction de l’IFT n’impacte pas forcément le rendement des cultures. Nous voyons qu’en colza, là où la baisse d’IFT est la plus importante, le rendement est le même que celui obtenu en conventionnel. La baisse de 44% des traitements en colza n’a pas d’impact sur le rendement. En orge, nous obtenons les mêmes résultats : en AC la réduction de 41% de l’IFT n’a pas impacté le rendement. En revanche le une baisse de 5% est observée dans le système de transition, pour une baisse de l’IFT de 11%. Ces résultats sont peut-être à chercher ailleurs que dans l’IFT. Le froment, quant à lui, subit une baisse de rendement avec la réduction de l’IFT. La baisse de 37% des traitements a entrainé une baisse de rendement de 8% par rapport au système conventionnel. Le calcul du rendement économique nous permettrait d’affiner encore plus ces résultats préliminaires.

 

Conclusions et perspectives

Les résultats obtenus après ces deux années d’enquête tendent à confirmer la tendance que les agriculteurs en AC utilisent moins de produits phyto que les agriculteurs en conventionnel. Pour aller plus loin dans la réflexion, il serait même plus juste de dire que la plupart des agriculteurs qui sont en AC, mettent en œuvre ce système car ils sont dans un processus de remise en question et d’amélioration de leurs pratiques. Cette amélioration englobe entre autres, une plus grande autonomie décisionnelle, une meilleure fertilité du sol, une augmentation de la biodiversité, … et passe donc par la réduction des pesticides. Pour approfondir ce point, un volet sociologique devrait être ajouté à l’enquête.

Nous tenons enfin à attirer l’attention sur le fait que l’ASBL Greenotec a pris des risques en effectuant cette enquête car, malgré un apriori positif, il se pouvait très bien que l’enquête révèle l’inverse, que l’AC était une plus grosse consommatrice de produits phytosanitaires. Il s’agit désormais de continuer l’enquête pour obtenir des résultats plus fiables et identifier les pratiques permettant de réduire l’utilisation de PPP afin de sensibiliser et de conseiller les agriculteurs dans leurs choix techniques et agronomiques.

L’ASBL Greenotec tient à remercier l’ensemble des agriculteurs qui ont pris le temps de répondre à nos questions ainsi que Mickaël Madec, Constance Richard et Quentin l’Aminot, étudiant.e.s stagiaires, pour leurs important travaux de collecte et de traitement des résultats.

Les informations communiqués dans cet article sont données à titre purement informatif et ne peuvent en aucun cas engager la responsabilité de l’association. Toute reproduction ou copie de cet article, même partielle et quel que soit le moyen utilisé, ne peut se faire sans l'accord préalable de l'ASBL Greenotec.