Jounée d'étude 20/09/2005 - Conférence

Le Pourquoi de l'Agriculture de Conservation

L'agriculture européenne a connu une intensification considérable au sortir de la seconde guerre mondiale pour répondre aux besoins d'autosuffisance alimentaire de l'Europe. Ce profond bouleversement, qui s'est décliné sous de multiples facettes (mécanisation, engrais de synthèse, amélioration foncière des terres agricoles, remembrement), a été la cause de nombreuses agressions néfastes et pérennes au premier outil de production végétale : le sol. 

La dégradation accélérée des terres arables mais également des ressources en eau, la forte demande en énergie fossile de l'agriculture des pays du Nord, soulèvent depuis quelques années des problèmes de durabilité dans un contexte de réchauffement climatique et de réduction de la biodiversité.

L'Agriculture de Conservation consiste en de nouveaux modes de production qui s'incrivent dans une démarche de développement durable, càd économiquement viable, environnementalement sain et socialement équitable.

Le Comment de l'Agriculture de Conservation

Selon Frédéric Thomas, l'Agriculture de Conservation repose sur trois piliers : la simplification du travail du sol, "l'injection de biomasse" dans les sols et les rotations culturales.

Pilier 1 : simplification du travail du sol

Historiquement parlant, le premier objectif du travail du sol a été de supprimer les problèmes engendrés par les végétaux pour le semis des cultures. Si l'efficacité de la charrue en la matière est unanimement reconnue, il n'est reste pas moins que les travaux intenses du sol ne sont pas inoffensifs. 
  1. Tout travail du sol entraîne une consommation de matière organique et un dégagement de C02 d'autant plus important que le travail est intensif. La chute du taux de matière organique cause une dégradation pérenne du sol, dont la battance en surface qui entraîne des problèmes de levée des cultures, de désherbage mais également de ruissellement dommageables tant pour l'agriculteur (perte de capital "sol") que pour les citoyens (érosion hydrique, coulées de boues et inondations : 1 mm de pluie non infiltré représente un volume de 10 m³ par ha !) ;
  2. Tout travail du sol perturbe l'activité biologique qui se déroule en son sein.
  3. L'utilisation répétée d'une charrue au fil des ans entraîne une stratification physique, chimique et biologique des sols (avec un"abandon" des horizons profonds du sol, dès lors plus difficilement accessibles aux racines). 
Par simplification, Frédéric entend une minimisation progressive de l'intensité des travaux aratoires, premièrement par l'adoption des Techniques Culturales Simplifiées (TCS), ensuite par une transition progressive vers l'abandon de tout travail: le Semis Direct (SD).
Tout travail du sol, quel que soit son intensité, doit être raisonné dans le but de créer ce que Frédéric appelle "Verticalité du Sol". La création et le maintien d'une porosité adéquate sont à la charge de des acteurs biologiques :
  • les racines des cutures et des cultures intermédiaires ;
  • les vers de terre qui se voient contraints de remonter à la surface du sol pour s'alimenter des débris végétaux en décomposition ;
  • les organismes microbiologiques qui en "digérant" les matières organiques et en fabriquant l'humus concourrent à stabiliser la structure du sol.
La réussite de cette transition impose de réduire autant que possible les impacts négatifs que peuvent exercer les tracteurs et machines agricoles sur la structure du sol, en optant pour des pneumatiques basse pression ou des roues jumelées, en évitant tout passage superflu (remorques en bordure de champ à la moisson et non pas à côté de la moissonneuse) et en évitant d'intervenir lorsque les conditions d'humidité sont telles que les sols ne sont plus portants.

Le recours aux décompacteurs ou ameublisseurs pour restructurer un sol dégradé devrait idéalement rester une "opération chirurgicale" à décider sur base d'une analyse préalable du profil cultural à l'aide d'une bêche. S'il doit y être procédé, l'ameublissement en profondeur doit être effectué à faible vitesse, en optant pour des dents espacées (3 ou 4 sur une largeur de 3 m) mais travaillant profondément (50 cm) et créant une structure de sol en "puzzle" ou "pavés autobloquants" (voir photo de gauche).

Le maintien des résidus végétaux peut compliquer les opérations de semis. Diverses solutions permettent d'y remédier, par exemple le ramassage des pailles, l'éparpillage des menues pailles ou les opérations de déchaumage. Le choix d'équipements (notamment de semis) performants est important mais quelques compromis permettent en début de transition (par plusieurs déchaumages superficiels notamment)  d'éviter certains invenstissements dans des outils spécifiques généralement onéreux.

Pilier 2 : "injection" de biomasse" dans les sols

"L'injection" de biomasse dans les sols a pour but d'accroître le "volant d'autofertilité du sol" (accélération et autonomisation du recyclage des éléments minéraux). La restitution des résidus des cultures au sol (pailles, verts de betteraves,...) est une première étape qui se doit d'être complétée par le recours aux cultures intermédiaires et la recherche d'une maximisation de leur biomasse.
Le rôle qui incombe aux cultures intermédiaires ne se résume pas uniquement à celui de pièges à nitrates. Elles doivent être considérées comme :
  1. des acteurs du recyclage de l'azote mais également des autres éléments fertilisants du sol ;
  2. des acteurs dans la création et le maintien de la porosité du sol en profondeur ;
  3. des acteurs dans l'assainissement de sols présentant des excès d'eau.

Les cultures intermédiaires présentant des avantages et des inconvénients très divers, pourquoi dès lors se limiter continuellement à quelques espèces voire à une seule?

  • Le recyclage des éléments minéraux est variable d'une espèce à l'autre : le sarrasin, la moutarde et la phacélie sont par exemple réputés efficaces en terme de recyclage du phosphore.
  • La caméline présenterait un effet allélopathique bénéfique dans la lutte contre les adventices.
  • Certains couverts seraint également à privilégier pour limiter le développement des populations de ravageurs (dont les limaces).
L'utilisation en mélanges de deux ou plusieurs cultures intermédiares est également une voie prometteuse: à certaines espèces le rôle de "tuteur", à d'autres le rôle de recyclage d'un ou plusieurs éléments minéraux éventuellement remis à disposition des autres.

Pilier 3 : rotations culturales

Les rotations culturales se doivent de (re-)jouer un rôle dans la prévention de certains échecs que les agriculteurs peuvent rencontrer dans la mise en application de l'Agriculture de Conservation. Le développement incontrôlé de certaines populations d'adventices est un problème généralement soulevé. Diverses pratiques complémentaires aux faux-semis (que Frédéric préfère appeller "vrais semis d'adventices") peuvent être adoptées et optimisées pour minimiser ces risques: 

  • allonger la durée des rotations ;
  • diversifier les cultures de la rotation ;
  • alterner judicieusement cultures d'hiver et de printemps pour rompre le cycle de développement de certains adventices.

Conclusions

La voie de l'Agriculture de Conservation que Frédéric encourage à emprunter est parsemée de défis qui peuvent apparaître complexes les premières années mais qui se résolvent rapidement en se réappropriant les bases d'une agronomie opérationnelle. Les bienfaits de ces nouveaux modes de production commenceraient à se marquer tout particulièrement à moyen terme, après six ou sept années.  De nombreux agriculteurs de par le monde se sont déjà engagés dans cette voie sans intention de faire marche arrière. Il suffit pour s'en convaincre d'interroger des agriculteurs qui ont décidé de franchir le pas sur leurs intentions de retour à des modes de production conventionnels...

"Nos grand-pères étaient paysans, nos pères étaient agriculteurs et nous sommes actuellement des exploitants. Que serons nos enfants?". Si l'agriculture peut encore aujourd'hui faire fi de certaines considérations environnementales, économiques ou techniques, il y a fort à parier qu'il n'en sera plus de même à court voire à très court terme... c'est en tout cas la conviction de Frédéric Thomas.